“Deux chemins divergeaient dans un bois, et moi – je pris le moins fréquenté, Et c’est cela qui changea tout.”
– Robert Frost, La Route que je n’ai pas prise.

Jérémy Galvan est de ces chefs dont la technique, acquise par des années de travail et d’expérience, offre la liberté d’aller chercher son propre chemin, ailleurs.
Il s’installe en 2011 rue du Bœuf puis obtient une étoile en 2017. C’est là qu’il propose une manière aussi différente que singulière de déguster un repas gastronomique. Dans la construction de l’expérience qu’il fait vivre à ses hôtes autour des quatre éléments et des cinq sens, le chef entend les ramener à l’état premier : celui de l’enfance, des émotions et de la découverte pure. Sa volonté, au-delà de procurer du plaisir au travers d’un repas, est de neutraliser voire casser les codes du restaurant, pas sans provocations ! Ce chef quarantenaire, habité par le patrimoine gastronomique français auquel il a su faire honneur, notamment en tant que membre du jury cuisine du Bocuse d’or 2023, a aussi pris le parti de le bousculer et de le réinventer radicalement par une approche plus contemporaine et plus personnelle.

“Je suis né en Haute-Savoie en 1983. J’ai passé mes premières années dans l’Ain avant de déménager en Isère à l’âge de dix ans. Je suis un enfant des montagnes, des forêts, de la terre et des rivières. Mes familles maternelle et paternelle, des paysans de l’Ain d’un côté et des pieds-noirs d’origine espagnole de l’autre, portaient des cultures très différentes, mais les deux avaient la même application dans la table”. Ces mots extraits du livre Chemins de Traverse (éditions de L’Épure) de Jérémy Galvan rappellent l’attachement profond du chef aux éléments et à la nature. Pétri de cette histoire personnelle, il lui rend comme un hommage dans ses assiettes d’abord par son choix d’un locavorisme sans concessions, mais aussi par la mise en scène d’assiettes narratives. L’ancrage dans le territoire Rhône-Alpin et la collaboration avec les producteurs de cette région est, en effet, l’une des pierres angulaires du travail de Jérémy Galvan.

En tout, une vingtaine de créations toujours renouvelées – le chef se refuse à la manie du plat signature – dans un menu unique baptisé “Lâcher prise” ponctué d’une immersion sonore en forêt ou d’une fouille dans la terre pour extraire une carotte cuite dans une enveloppe d’argile, comme une invitation à revenir à l’état
primitif. Par exemple ! Chez Jérémy Galvan, l’eau, la terre, l’air, le feu, la vue, le goût, l’ouïe, le toucher et l’odorat sont autant de sources d’inspiration qui stimulent la créativité sans bornes de ce chef à rebours.

Les étapes de la rencontre avec son univers se font aussi et d’abord par la salle de restaurant. Dès l’entrée, l’immersion dans la nature prend l’allure d’une grotte enveloppante et se poursuit par un plongeon sensoriel dans les deux salles de restaurant avec chacune une ambiance différente et sur-mesure. L’atmosphère de la première, évoque l’air et l’eau, la seconde connecte à la terre et au feu.

Les arts de la table jouent également un rôle dans l’habile mise en scène du repas. C’est avec la complicité d’Ève Billard céramiste et dont l’atelier se trouve à quelques enjambées du restaurant que le chef réfléchit aux pièces de vaisselle qui viennent habiller ses tables. “Notre collaboration est très enrichissante. Elle travaille parfois à partir de mes croquis ou échantillons, ou imagine elle-même les contenants qui lui semblent les plus adaptés à mes créations, en harmonie avec l’univers du restaurant. Le cahier des charges est simple : je lui ai demandé de travailler sur l’imperfection de la nature.” raconte Jérémy Galvan dans Chemins de Traverse.

L’équipe en salle, comme dans une pièce de théâtre, est aussi partie prenante du spectacle qui vient soutenir le propos des assiettes distillées par Jérémy Galvan. En préambule de chaque plat, une présentation éloquente mais mystérieuse au cours de laquelle on ne divulgue pas ce que le convive s’apprête à déguster dans un objectif, toujours, de le faire lâcher prise. L’annonce est, en effet, réservée pour le dénouement à l’issue de la dégustation de chaque séquence. La manière dont se meuvent les équipes de salle apporte la touche la plus théâtrale voire chorégraphique chère au cœur du chef, puisque initiée et transmise par Nadia, sa femme comédienne de profession.

Mais pour aller encore plus loin dans sa recherche d’une nouvelle forme de restaurant et de restauration, la quête du chef, celle qui l’anime par-dessus tout aujourd’hui, est d’aller au plus près des éléments en déplaçant ses convives hors les murs dans un restaurant en pleine nature à l’occasion de « dîners en forêt »

“Un restaurateur ne devrait jamais faire passer ses équipes par la souffrance pour apporter du plaisir aux convives. Depuis que je suis propriétaire de mon établissement, j’essaie de mettre en place une sphère vertueuse pour que tout le monde puisse s’épanouir.” raconte-t-il dans son livre.

Plus philosophique encore, mais pas moins avant-gardiste, le chef Jérémy Galvan, dans un souci de cohésion et de volonté de pousser sa brigade vers le chemin de la créativité, organise une fois par mois des ateliers. Toute l’équipe peut y prendre part, à sa façon et sur la base du volontariat. Le principe est simple, le chef propose une thématique qui peut prendre la forme d’une problématique rencontrée dans le cadre de la vie du restaurant et chacun avec son medium apporte une réponse. Vient ensuite le débat collectif autour de ce thème.

Autre rituel avant le service, à la manière des comédiens avant de monter sur scène, tous les membres de l’équipe se tiennent la main pour former un cercle afin de se connecter les uns aux autres et amener le sentiment de connexion jusque dans le service. C’est dans cette dynamique si atypique mais profondément humaine que peut ensuite se jouer une chorégraphie propre à l’univers du chef Jérémy Galvan.

Jérémy GALVAN, se consacre à la cuisine depuis ses 14 ans. Originaire de Haute-Savoie, il passe un CAP puis un Brevet Pro Cuisine, et s’essaie ensuite au côté de Bernard Lantelme et chez Léon de Lyon 2 étoiles Michelin. Il travaille par la suite pour Alain Alexanian, Christian Lherm ou encore Philippe Chavent. En 2011, il ouvre son restaurant dans le Vieux Lyon et y déploie sa signature culinaire autour de convictions dictées par la Nature et les 4 éléments. Lauréat du Trophée Chef Espoir de l’année 2014, il devient membre du Collège culinaire de France et de l’association Bande de gourmands. Etoilé depuis 2017 au Guide Michelin, il met au
cœur de sa cuisine les produits locaux et ceux qui les font, avec la volonté d’éveiller tous les sens des convives pour les amener à lâcher prise et vivre une expérience totale.